rosaces et balavos

Publié le par CaroB

rosaces et balavos
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Nous sommes donc accueillies par les vivas et les  hourras des enfants qui, ce premier jour comme les suivants, nous font une véritable haie d'honneur sur la ligne d'arrivée. Les hourras enfantins sénégalais sont en fait des bravos chaleureux que je ne pourrai reproduire à l'écrit; ces BALAVOS qui, j'en suis sûre, chantent encore à l'oreille de chaque gazelle.  

Ils sont touchants. Chacun de leur regard est d'une profondeur , d'une douceur ineffables. Ils se sont fait beaux aussi. C'est attendrissant de réaliser qu'ils ont tous choisi leur plus jolie tenue. Un pantalon cintré pour tel garçon, une belle robe de soirée pour cette jeune fille et puis, pour d'autres, les tenues locales, chatoyantes et colorées. 

Cette première arrivée se termine dans les pleurs et il en sera de même les jours suivants. J'ai la chance de finir avant la plupart des copines, seule Sandrine est témoin de mes larmes, quotidiennes et devenues ritualisées. Charlotte sera ma jumelle lacrymale . Comment l'expliquer? Cet effort intense que nous faisons en courant, ces pensées qui nous assaillent, cette attente qui se réduit kilomètre après kilomètre, cet accueil si festif et si joyeux, ces sourires, leur attente à eux que l'on peut lire sur leur visage, le fait qu'ils nous remercient autant, nous acclament , ce sentiment d'usurpation presque. On ne mérite pas tant. Dès cette première arrivée, on sent qu'ils nous offrent finalement bien plus que nous leur donnons. 

Nous nous dirigeons dans la cour d'école de Yayème. Le directeur est ému et nous remercie, encore. 

Et puis nous dansons. Les femmes jouent de la calebasse et nous recevons notre première leçon de déhanché. Elles rient de nous voir si gauches et hésitantes et leur rire nous réchauffe et nous enhardit. 

Chaque groupe de filles choisit ensuite une classe au sein de laquelle la distribution de fournitures va commencer. Nous avons en charge un CM2 d'une quarantaine d'élèves. Nous sommes stupéfaites de leur calme, de leur attention , de cette atmosphère presque monacale qui règne dans la classe. Ils sont intimidés et c'est contagieux: nous voilà à notre tour impressionnées et troublées. Nous sommes toutes les 7 des professeures désormais plutôt expérimentées mais cette première rencontre est une vraie première fois. Nos voix ne sont pas aussi assurées que d'ordinaire. Nos yeux sont encore et toujours humides et nos gestes un peu hésitants. 

Angélique présente alors le projet pédagogique réalisé par sa fille et ses camarades de classe. Ca n'arrange évidemment rien à notre état émotionnel tellement exacerbé qu'il en devient ridicule. Mais, de fait, c'est une sacrée émotion* pour Angélique d'offrir enfin à ces écoliers sénégalais ce que les écoliers de corbeil-essonnes leur ont préparé. 

(*émotion: ce terme est désormais presque devenu un cri de ralliement comique entre nous tant nous l'avons utilisé pour tenter d'exprimer ce que cette aventure a représenté )  

On leur distribue ensuite à chacun deux cahiers, une trousse remplie, des crayons de couleur, une règle et... un compas. 

Nous comprenons assez vite que certains élèves ne connaissent pas bien cet ustensile étrange . Aurélie a alors la judicieuse idée de réaliser une belle rosace sur le cahier de l'un d'entre eux. Leur timidité s'évanouit aussitôt: ils nous demandent tous de décorer la première page de leur cahier en y dessinant cette rosace magique et féérique. Il semblent ébahis, émerveillés. Ils s'emparent de leurs tout nouveaux crayons de couleurs pour embellir cette dédicace particulière. 

C'est un moment hors du temps. Je trace une quinzaine de rosaces et moi qui suis d'ordinaire si malhabile et sans doute quelque peu dysgraphique, je prends un plaisir inouï à leur offrir cette figure géométrique. Leurs yeux pétillants, leur merci chuchoté et leur immense sourire me rempissent le coeur. 

Avant que nous ne partions, le jeune maître d'école leur demande de se lever pour nous chanter une dernière chanson en guise de remerciements. Ils sont 43, debouts, face à nous 7. Nos jambes flageollent un peu. L'émotion encore et toujours. 

Nous sortons de cette salle de classe avec le même sentiment:nous sommes  remplies, gonflées, gorgées de tant de bonté et de simplicité. nous avons cette sensation précieuse et unique d'avoir vécu un grand moment de bonheur intense, de partage inexplicable.

Nous n'avons passé qu'une poignée d'heures avec ces enfants mais les quitter m'est douloureux. C'est absurde car ils ne me sont pas chers et pourtant,c'est un petit déchirement : j'ai pu vivre avec eux cet instant fugace de générosité et je ne les reverrai sans doute pas.  Ces stylos et crayons semblent si peu de choses face aux montagnes d'obstacles sociaux, géographiques, culturels qui risquent d'entraver leur évolution, leur émancipation. Nos cahiers et nos rosaces parviendront-ils à les aider, à leur permettre d' avancer? C'est pleine de ces doutes et de ces interrogations, pleine de ce goût de trop peu que je sors de l'école le coeur serrré. 

 

 

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