Ces contrastes.

Publié le par CaroB

Ces contrastes.Ces contrastes.
Ces contrastes.Ces contrastes.

Nous rentrons en calèche. Cela nous permet d'avoir quelques fulgurants clichés de la pauvreté qui nous entoure. On traverse de longues étendues vides et ensablées , jonchées à certains endroits de détritus en tout genre, d'emballages plastiques éventrés. On comprend pourquoi il nous a fallu dépouiller toutes les fournitures scolaires de leurs emballages avant le départ. Evidemment, le traitement des déchets n'existe pas au Sénégal. Les poubelles sont invisibles, le tri est un terme de science-fiction.

On traverse l'unique rue quelque peu commerçante de la région où sont accolés des bouibouis de bric et de broc , des achalandages où sont vendues des pièces détachées de toutes sortes.  Quelques vieilles voitures en morceaux sont visibles. les poules et coqs sont en liberté et se promènent parmi les amas de viandes vendus à l'air libre sous 35 degres. La chaîne du froid et toutes ces préoccupations d'hygiène sanitaire... on balaye tout ça de la main avec un grand sourire.

Les passages désertiques reprennent ensuite leur droit, on croise un cheval mort sans entraille et, un peu plus loin, au milieu de ce grand rien, une construction en cours. En bêton. Nous sommes surprises: toutes les cases sont faites de paillasses et là, loin de tout village, on voit ce mastodonte s'ériger. Nous demandons à notre "chauffeur" à quoi va servir cette construction. On pense à une école, un dispensaire.... et non: il s'agira d'un poulailler.

Nous arrivons à notre écolodge où nous discutions avec quelques enfants et quelques femmes . L'une d'entre elle tend son petit Abou à Angélique. Il est adorable et d'un âge incertain. 6 mois?  1 an?  Sa maman ne semble pas bien le savoir. Devant l'attendrissement que ce petit Abou provoque chez Angélique, elle lui dit, sans la moindre ironie :"prends-le , emmène le chez toi". Et lorsqu'Angélique lui rétorque qu'elle sera triste si on lui prend son enfant, elle lui répond avec une simplicité déconcertante que ça ira, qu'elle en a 4 autres....

Cette découverte de la population et des moeurs sénégalais se poursuivra le lendemain après-midi. Au fil des jours, nous faisons connaissance avec certains villageois qui ont l'opportunité de travailler pour la sénégazelle et au sein de l'écolodge dans lequel nous sommes logés. Mallé nous invite à boire le thé dans sa famille. Nous pensons que nous y passerons une heure. C'était mal connaître le rituel du thé au Sénégal. C'était mal connaître encore ce temps distendu qui n'existe pas, cette capacité à oublier les heures et à prolonger le partage. Ils ont un diction à ce sujet:" les français ont la montre, les africains le temps".

Mallé nous présente sa maman qui est en train de décortiquer les cacahuètes. C'est l'activité principale des femmes du village. elles les décortiquent, les mettent dans des petits sachets et les vendent. Elle nous prête une paillasse et nous allons nous installer plus loin, contre un muret à l'ombre. Mallé et ses amis commencent la préparation du thé. Gorgui et Ngor, champions du lutte du village nous ont rejoint. Il nous faut d'abortd goùter au premier thé, le thé amer qui symbolise la mort. Puis après une longue deuxième préparation, nous buvons le thé doux qui représente la vie et , enfin, nous nous efforçons d'avaler le dernier thé, le thé sucré qui symbolise l'amour.

Durant cet interminable processus de préparation et de dégustation, 3  petites filles sont restées auprès de nous, Marinan , Adamafaï et... je ne vais pas vous mentir, le troisième prénom m'échappe. elle se sont installées contre Aurélie et moi et sont restés collées à nous durant deux heures, à nous emprunter nos lunettes de soleil, ébahies, à vouloir être prises en photos afin de pouvoir s'admirer sur nos téléphones, à me faire de longues et fines tresses indémélables, à nous tenir la main, nous caresser les bras. Leur besoin de nous toucher est déconcertante. Leurs sourires désarmants, leurs rires contagieux. Elles nous chantent des chansons, en céré, leur dialecte et en français (ce qui me vaudra les railleries de toutes les gazelles: chaque soir, on remet le tee-shirt rose du "boulet du jour".... Un peu distraite, je n'ai pas reconnu la chanson française que nous fredonnaient ces fillettes et j'ai demandé s'il s'agissait de Wolof... je me suis sentie bien piteuse  face au désarroi de Mallé me disant "mais non, elles vous chantent une chanson en français".. et évidemment, puisque ma bévue a été révélée à tout le groupe, on ne pouvait pas louper la prof de français qui confond la langue qu'elle enseigne avec le wolof!)

On apprend quelques mots d'ailleurs en céré: nous savons désormais saluer l'après -midi (njoko), remercier( jerejef )

On réalise dans ce village que les femmes travaillent beaucoup plus que les hommes. elles sont toujours à la tâche, préparant leurs cacahuètes, tissant, cousant, tenant leur petit artsanat d'une main forte et courageuse. Je pensais être confrontée à une population féminine soumise et peu libre: nous sommes en réalité face à des femmes qui s'émancipent, qui affirment de plus en plus leur volonté d'indépendance, d'autonomie, qui tiennent leur maisonnée sans avoir besoin de quiconque, qui se moquent des hommes en singeant leur prédation sexuelle a coup de "bougaga" (seules les initiées comprendront....) 

Sur le chemin du retour, il se fait déjà tard mais Jules (notre coach sportif avant chaque début de course qui est aussi professeur d'EPS dans un collège de la région) nous propose d'aller boire un dernier thé dans la très jolie maison dont s'occupe Maïamé.  Jules nous y explique la raison pour laquelle il a abandonné sa vie à Dakar, vie qu'il partageait avec sa femme et sa fille. Son papa est tombé malade, il est revenu vivre dans ce village au milieu de désert,pour être auprès de lui et, depuis son décés, il reste vivre ici , loin de tout, afin d'être auprès de sa mère. il a laissé femme et enfant mais  " c'est la vie!" nous dit-il sans détour, avec pudeur. Les difficultés traversées qui deviendraient drames et tragédies chez nous sont ici de simples aléas de l'existence avec lesquels on avance en souriant parce qu'on est en vie.  Il est professeur et ne possède pourtant rien: Chaque mois, il donne son salaire à sa maman: amasser, épargner, mettre de côté... c'est un état d'esprit qui n'existe pas au Sénégal. Souvent parce que cela n'est pas possible et même lorsque cela pourrait l'être, on vit du partage, on ne compte pas. Plus que jamais je réalise que moins on possède et plus on donne. Ce contraste me réchauffe et me rappelle ce que l'humanité a de fondamentalement bon. Je balaye de la main les pensées qui pourraient me ramener à nos sociétés mercantiles  modernes. Là, les pieds brulant dans le sable, ayant encore en tête la voix cristalline d'Adamafaî, les mots sages de Jules, la générosité simple et chaleureuse dd'Adamé, je ne vois plus grand chose de positif à notre vie  Je sais bien que je replongerai bien vite dans la surconsommation, dans des inquiétudes stériles et  dans une course effrénée quotidienne mais pour l'instant, je savoure en ayant cette étrange sensation que cette Afrique dans laquelle nous sommes plongées nous permet un réel rertour aux sources de l'humanité. 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article